En bref

Certains moyens mnémotechniques (ordre des bémols, des dièses) sont des faux raccourcis, il vaut mieux « savoir » les gammes, sans forcément les avoir apprises « par cœur ».

Au début d’une portée, une «armure» peut indiquer les dièses ou bémols (les «altérations») à appliquer aux notes. On sait, grâce à des raisonnements assez simples, que les gammes majeures ont un certain nombre d’altérations qui arrivent toujours dans le même ordre. Cela s’applique aussi aux rotations de la gamme majeure, dont la gamme mineure naturelle.

Beaucoup de « musiciennes et musiciens non libérés » connaissent des moyens mnémotechniques très sophistiqués (MMTS) à ce sujet, j’explique dans cet article pourquoi je suis frustré de voir qu’il leur manque une étape importante pour pouvoir vraiment utiliser la théorie musicale sur leur instrument.

MMTS : Quels sont-ils ?

La construction des gammes majeures (GM) est un processus assez simple qui revient à reproduire les écarts entres les notes de la GM de do à partir d’une autre note que do. Il faut respecter deux principes:

  1. Ces écarts, 221222 en demi-tons, sont ceux que l’on trouve entre les touches blanches du piano.
  2. On change de nom de note à chaque fois que l’on passe à la note suivante.

Se perd dans la nuit des temps l’origine de la connaissance des faits suivants (tiré de Wikipedia):

  • Ordre d’arrivée des dièses, par quintes ascendantes : fa, do, sol, ré, la, mi, si.
  • Ordre d’arrivée des bémols, par quintes descendantes : si, mi, la, ré, sol, do, fa.
  • Autre remarque sur Wikipedia: ces ordres sont inverses l’un de l’autre.

En effet, il n’y a qu’une gamme (ou tonalité) à un dièse, sol majeur, et ce dièse est fa♯. Pour la gamme majeure à deux dièses, ré majeur, c’est fa♯ et do♯. Trois dièses, la majeur, c’est fa♯, do♯ et sol♯. Idem pour les GM de mi, si, fa♯, do♯, avec respectivement 4, 5, 6 et 7 dièses, qui arrivent dans l’ordre indiqué. Et idem pour les GM de fa, si♭, mi♭, la♭, ré♭, sol♭, do♭ avec les bémols dans le bon ordre.

Il y a d’autres MMTS qui permettent d’obtenir la correspondance entre armure et tonalité, utilisables dans les deux sens.

  • Le dernier dièse est la sensible (7 degré de la GM), donc la tonique est un demi-ton au-dessus.
  • L’avant dernier bémol est la tonique (sauf pour fa majeur).

Reste à remarquer:

  • une GM n’admet que des dièses ou que des bémols,
  • les GM partant des notes naturelles (sauf fa) ont des dièses,
  • à part fa♯ majeur et sol♭ majeur qui ont toutes les deux 6 altérations, les GM restantes ont des bémols.

Mais dans la pratique ? Est-ce que tout cela est utilisable dans le feu de l’action ?

MMTS : un savoir froid ?

Je dis que les MMTS détaillés précédemment sont un « savoir froid » car peu utilisables « en live ». Que ce soit pour jouer sans partition ou même pour en lire, connaître les MMTS n’est pas suffisant. Je dirais même que c’est ni suffisant ni nécessaire !

Tonalité vers armure

Dans le sens tonalité vers armure, connaître leur nombre et leur ordre n’est indispensable que si on écrit une partition et que l’on écrit nous-mêmes l’armure. Mais pour lire ou jouer ?

Prenons par exemple mi majeur. Si on ne sait pas « par cœur » qu’il y a 4 dièses, il faut se dire que:

  • c’est une note naturelle donc une gamme à dièses,
  • le dernier dièse arrive sur la sensible qui est donc ré♯,
  • en reprenant l’ordre des dièses on arrive à fa♯, do♯, sol♯ et ré♯, soit 4 dièses.

On s’arrête là si on doit écrire une armure, mais pour jouer il faut maintenant « installer » les dièses sur les notes mi, fa, sol, la si, do, ré, mi (opération non triviale !) pour trouver mi, fa♯, sol♯, la, si, do♯, ré♯ et mi.

Je propose d’apprendre directement cette dernière information, sans passer par les MMTS mais en apprenant des morceaux en mi. Mi majeur, c’est mi, fa♯, sol♯, la, si, do♯, ré♯ et mi. C’est uniquement cela qu’il faut savoir. Et si on doit écrire une armure, là OK on a besoin de l’ordre des dièses.

Armure vers tonalité

Dans le sens armure vers tonalité, supposons qu’on ait sous les yeux une armure avec quatre bémols.

Connaître leur ordre ne sert que si on ne sait pas lire car ils sont placés à l’endroit correspondant sur la portée. Je pense que l’on peut utiliser le nom des notes sans savoir lire une portée, mais la plupart des utilisations des MMTS sont faites par des lecteurs ou lectrices, donc l’ordre des bémols est inutile ici.

L’avant dernier bémol dans la liste si♭, mi♭, la♭, ré♭ est la♭, donc c’est aussi la tonalité. Si cette information était directement utilisable, on connaîtrait déjà bien la♭ majeur, et donc on l’aurait directement reconnue à l’armure. Il faut donc encore «installer» les bémols pour obtenir la gamme: la♭, si♭, do, ré♭, mi♭, fa, sol, la♭.

Pour résumer, si un MMTS est utilisé, il faut faire un travail supplémentaire à chaque fois que l’on veut jouer. C’est un peu paradoxal : si on en a besoin c’est qu’il ne peut pas encore servir seul pour que son utilisateur ou trice puisse jouer !

Les seules utilisations raisonnables des MMTS seraient selon moi pour se remettre en tête une info, ou pour la vérifier.

La notion correspondant aux MMTS dans le monde des guitaristes serait celle des calculs de notes sur le manche. « Connaître son manche » de guitare ce n’est pas savoir recalculer une note à tel endroit, ou savoir où est telle note, mais le savoir instantanément.

Je suis en général fan de masturbation intellectuelle, je ne rejette pas les MMTS en bloc. J’ai par exemple remarqué quelque chose d’assez inutile dans la pratique: la somme des nombres de dièses et de bémols des gammes de do♯ et ré♭ vaut 12. Et c’est pareil pour toutes les autres gammes des notes à altération.

Les MMTS ne sont pas nuisibles en eux-mêmes, pas besoin de les oublier! Mais donner l’illusion que l’on maîtrise si on a ce petit bout de connaissance est selon moi nuisible. Ce genre d’illusion est d’ailleurs le grand problème de ma vie de musicien!

L’étape suivante

Pour moi, le niveau de connaissance nécessaire à avoir des gammes afin qu’elles soient vraiment utiles est la «connaissance totale» de chacune de ces listes:

  • do ré mi fa sol la si do
  • ré♭ mi♭ fa sol♭ la♭ si♭ do ré♭
  • ré mi fa♯ sol la si do♯ ré
  • mi♭ fa sol la♭ si♭ do ré mi♭
  • mi fa♯ sol♯ la si do♯ ré♯ mi
  • fa sol la si♭ do ré mi fa
  • fa♯ sol♯ la♯ si do♯ ré♯ mi♯ fa♯
  • sol♭ la♭ si♭ do♭ ré♭ mi♭ fa sol♭
  • sol la si do ré mi fa♯ sol
  • la♭ si♭ do ré♭ mi♭ fa sol la♭
  • la si do♯ ré mi fa♯ sol♯ la
  • si♭ do ré mi♭ fa sol la si♭
  • si do♯ ré♯ mi fa♯ sol♯ la♯ si

J’ai gardé 13 gammes car je ne me sers ni de si♯ ni de do♭. Notons aussi que l’ordre des lignes n’a pas d’importance, certaines étant plus utiles que d’autres suivant les morceaux que vous voudrez jouer. On n’évoquera pas ici la nécessité de savoir naviguer dans ces gammes (par tierces, en zigzag, …), le plus le mieux. Le minimum est selon moi de les connaître chacune dans l’ordre ascendant et descendant, puis le degré (la position) de chaque note dans chaque gamme, dans le sens degré-note et le sens note-degré.

Oui c’est un travail conséquent, mais il faut prendre le temps.

C’est selon moi un savant mélange de par cœur, de compréhension et d’expérience. Je dirais 50-50-0 au début, pour tendre vers 0-10-90.

Plutôt qu’apprendre « bêtement » par cœur, si le but est de connaître toutes les tonalités, une bonne stratégie est d’apprendre un morceau par tonalité. Sinon on apprend une tonalité que si un morceau le nécessite.

Pourquoi s’être arrêté avant?

Alors pourquoi s’arrêter avant cette dernière étape? Même parfois à un haut niveau! Flemme de l’élève, du prof? Pourquoi penser que les MMTS peuvent se substituer à une vraie connaissance des gammes majeures?

Et après?

Reste à mettre en place ce savoir sur l’instrument. Pour le piano et autres claviers c’est assez direct. Pour les instruments à cordes il y aura plusieurs positions géométriques. Pour les soufflants, il y a encore ce savant mélange « par cœur/compréhension/expérience » à invoquer car la géométrie de ces instruments est farçeuse!