Mon avis

C’est du Damasio.

Étalement vocab, figures, néologismes.

Scénard tiré par les cheveux: conte.

Je suis client.

Le travail sur la vision de la société est irréprochable.

Néologismes

  • Vendiant
  • Botonnade
  • Lentement foudroyer
  • Coleoptic
  • Troubadurdur
  • Réul
  • Nuage de poings
  • Paramaître
  • Entendouï
  • Ça m’émoire
  • Helicopain
  • Mantract
  • Minifeste
  • Hacker vaillant
  • Conforteresse
  • Norme morne
  • Self-serf vice
  • Injecté de son
  • Art de vibre
  • Chaosmose
  • Outre-caca
  • Zlute
  • Dismuter

Extraits

Être en prise

…alors qu’il faudrait être là, juste là, en prise. A se hisser en silence à la hauteur de l’instant.

Présentir

– Une dernière suggestion, Lorca, si je puis me permettre: oublie la technique.

Il l’a glissé doucement à travers le haut-parleur, et aussitôt les mantras de ses cours se sont réactivés en moi: « La technique est l’ensemble de ce qu’il faut savoir pour échapper à la technique. Ne cherche plus à raisonner: cherche la résonance: thermique, physique, spirituelle. Cherche ce point d’extrême disponibilité en toi à partir duquel tu vas sentir le furtif bouger. N’essaie pas de pressentir, puisque c’est déjà anticiper sur ses mouvements et il te déjouera aussi sec. Ne te contente pas non plus de ressentir, ce qui revient à post-sentir, car c’est déjà trop tard lorsqu’on chasse un furtif. Mais cherche plutôr à…» – Présentir, oui… Je me souviens de tes leçons. Essaie de sentir à la vitesse du présent pur. Ni plus lentement, ni plus vite. En prise avec la durée. Repousse toute anticipation. Essaie d’atteindre la simple présence à ce qui se passe, flue et change. Sans cesse. C’est là que vit le furtif. C’est là que tu le croiseras. «On ne chasse pas un furtif. On le rencontre. On va à sa rencontre.» – Tu peux le faire, Lorca, crois-moi!

Personne pour te donner un conseil

Tu étais le plus doué de ta promotion, Lorca. Personne ne s’en est rendu compte ici. Ni les formeurs, ni tes camarades. Même pas toi. Tu deviendras un chasseur exceptionnel, c’est l’évidence et tu seras, comme tous les chasseurs exceptionnels, d’abord confronté à ta propre folie. Accepte-le. Accepte-la. Il n’y aura personne pour te donner un conseil qui vaille à ce moment-là…

Réponse binaire

Il n’avait pas répondu à ma dernière question: il l’avait tapée au clavier, directement sur l’écran de mon gant. Chez Zilch, ça signifiait approxima tivement ceci > tu poses trop de questions, je perds du temps > je hacke, mec, et t’es qu’un putain de boulet de notech > alors agis et trace! 1 cétait oui. 0 c’était non. J’adorais Zilch […]

Banque mentale d’algos

Dans mes écouteurs, j’entends la grenaille des lignes de code que Zilch tape comme on mitraille. Ce qu’il fait demanderait plusieurs jours à un pirate déjà chevronné. Mais lui a ses troyens et ses backdoors déjà ouvertes, son armée de botnets et une flopée de machines zombies activables àl’envi: il a son armurerie de softs à lui, accumulée sur dix ans, un trésor de guerre d’applis, de vers et de routines agressives qui percent les boucliers de sécurité par des failles minuscules et pénètrent les serveurs comme de l’acide; il a surtout sa banque de données mentale, caffie d’algorithmes qu’enrichit sans cesse son intelligence ultravive. Et pour finir, il carbure à la neuroïne, ce qui coupe tout lag, toute pause: il déteste. Je ne suis même pas sûr, au moment où je lui parle, qu’il ne travaille pas sur deux trois hacks à la fois en multitâche.

Rendement électoral

L’avantage des polices commerciales demeure qu’elles sont payées à l’heure et que la prime de risque associée aux missions nocturnes les rend vite coûteuses. Maintenir par conséquent une dizaine d’agents sur place, surtout en zone autonome, n’avait pas de sens, économiquement parlant, pour la gouvernance: beaucoup trop cher et sans rendement électoral.

Proférance et degrés de liberté

J’ai cette impression, fluctuante toutetois, de m’avancer un peu plus solide, d’avoir progressé, oui, depuis neuf mois. Grâce à Miguel, à la faveur aussi du temps qui délave et distancie la douleur. Ce matin, J’ai senti une adhérence différente, plus marquée (ou juste intriguée ?), plus embarquée en tout cas de mes élèves alors qu’il s’agit d’un quartier où je patine depuis de longs mois, où j’enseigne surtout pour honorer mon contrat avec ces parents qui n’ont pas les moyens de se payer l’école privée et qui se rabattent sur la proferrance. Non par choix idéologique: par dépit ou par défaut, plutot. Chaque semaine, j’essaie de leur prouver que notre pédagogie vaut, et dépasse même de bcaucoup, celle du privé. Quandy’ai parlé des degrés de liberté aux adolescents, ces degrés que le numé- rique leur a fait perdre par rapport à leurs grands-parents anonymat des échanges, des courriers, des achats par exemple, liberté d’expression sans trace ils ont commencé à mordre. Ça s’est senti aux regards, aux discussions parasites dans les travées, aux questions. Le sujet les touche, naturelle ment, ils le vivent, ils sont nés dans ce monde bagué où le moindre de leur acte s’enregistre et informe un tiers de ce qu’ils sont et font. Mais j’étais aussi plus habitée qu’à lordinaire, quand j’ai montré comment une histoire d’amour est aujourd’hui prise dans un filet de traces, est obligatoirement sue. Cam’a fait un bien fou de les sentir « tomber» dans le cours. Redes- cendre enfin là avec moi, sur ces gradins branlants qu’il faudrait vraiment changer ne plus flotter dans l’ailleurs, àtripoter leur bague, à se vidéo- projeter des sottises à l’encan. La mode cette année est d’utiliser le front comme écran. Le front des autres évidemment, celui d’un brave gamin qui essaie d’écouter et ne se rend compte de rien (c’est plus drôle). Chez cette génération, la tranche d’attention continue avoisine les trente secondes. Elle était encore de deux minutes il y a dix ans. Par conséquent, chaque demi-minute exige de couper/relancer, sans cesse, par une question, par un jeu, par une photo, par une musique, faire réadhérer leur tête de ecture sur ma surface vocale.. Harassant en termes de rythme.

On sait donner la mort

On peut couper en deux un arbre qui a fait repousser ses bourgeons et ses feuilles deux cent cinquante printemps de suite avec une tronçonneuse à essence et en huit minutes. On peut abattre un jaguar qui court à 90 km/h dans une savane en un dixième de seconde et avec une seule balle. Qu’est-ce que ça prouve de nous? Qu’on sait stopper le mouvement? Qu’à défaut d’être vivants, nous voudrions nous prouver qu’on sait donner la mort? Je voudrais rester dans ce Centre non pas vingt-quatre heures mais six mois. Juste à les écouter courir et pétiller, faire piailler la matière et la réinventer, se parler avec un langage que je finirais par deviner. Les écouter encore métaboliser le bois et ramener sans cesse à la vie, en l’ingérant comme ils le font, ce qu on a scié, émietté et recollé pour en faire des planches plates et de la paperasse de notre putain de race. Je voudrais contempler leur monde avec mes oreilles en fleur aussi longtemps que je puisse - jusqu’ à ce qu’y pousse un fruit qui m’éveille et fasse enfin chair pour moi.

Sonore vs optique

-Je ne crois pas ça dans l’absolu. Mais je crois ça pour les furtifs carrément. Le sonore est un art de la durée. Donc du mouvement et de l’émotion: c’est la même racine. Tu te fonds dans un flux, tu nages en pleine rivière. Tu accompagnes la métanmorphose progressive des sons, tu les épouses. Tu deviens en même temps que ce que tu écoutes.L’optique par contre est un art de l’espace. A mes yeux. Ça consiste à fixer et à figer le monde à l’instant t. On se tient dans le froid, le spéculaire, la distance, la maîtrise. Et quand ça bouge, on est dans le contrôle. On checke des coordonnées, des trajectoires, des vecteurs. L’optique relève pour moi du pouvoir.

Copains

[…] eu la moindre histoire amoureuse avec quiconque. Saskia prit ma main et la logea dans la sienne, sans bouger, sans aller plus loin. Et ça m’allait très bien. – Copains? – Copains.

Elle parle et elle écoute

Elle parle de surcroît très bien, avec un débit fluide et module, sans avoir de difficulté à trouver les mots justes - un talent qu’ elle a aftiné durant une décennie d’activisme dans l’écologie. Saskia jouit d’une authentique finesse de perception. L’écoute n’est pas juste une compétence, elle se retrouve chez elle au quotidien dans sa disponibilité aux êtres et aux contextes, sa façon de les recevoir et d’en discrinminer les enjeux, avant d’imposer quelque vision qu’elle ait. Cette écoute relève d’un habitus, elle est une façon de laisser le monde des autres entrer chez elle quand tellement de gens s en méfient ou s’en défient. De là, elle tire naturellement une intelligence des situations, dont j’essaie souvent de m’inspirer: […]

Retenir le temps

– Non, du calendrier balinais, des cycles, des saisons. Kala dit que la conception d’un temps cyclique… que tout ce que les hommes font pour qu’il soit cyclique… avec nos anniversaires, nos commémora- rions, nos horloges rondes, nos jours qui reviennent, nos années… Tout ça n’est qu’un ettort prodigieux pour.. pour ne pas laisser le temps passer.. Pour essayer qu’il ne s’en aille pas.. – Le retenir? – Le balian lui répond que… oui… Que c’est aussi l’essence de la musique et de la poésie… Que le rythme et la rime ont été inventés pour tenir et retenir le temps… pour le ramener. Et donc pour qu’ une mémoire des moments devienne possible.. Sans cette mémoire… aucun homme, animal, plante n’a de chance d’acquérir, d accumuler un savoir… d’apprendre à se construire… et donc de survivre. – Il dit vraiment tout ça? – Kala lui renvoie que la seule vraie beauté est dans l’instant qui ne reviendra jamais… Que ce qu’on conserve et répète s’affadit, s’avilit, se délave… Que maintenir n’est pas vivre… Vivre est créer.. Courir est vie, et danser sur la crête du « jamais-encore-vécu » - bon, la trad tait ce qu’elle peut… Le balian lui dit alors…

Amende proportionnelle

Toute intrusion ou dégradation est passible de trente-six mois de revenus et d’une peine […]

Beauté crue

p234 Même quand elle se veut sèche, elle n’arrive pas à se débarrasser de sa grâce. Sa voix ne ferme jamais tout à fait, elle coule souple et claire, un ruisseau. Ses yeux oscillent entre le vert et le jaune, à la façond’une tlamme végétale. Parfois, ils virent vieil or, comme ici. Elle s’assoit sur le tapis sans rupture, je la sens tendue sans que sa nuque se décale ni que ses bras sac- cadent, elle prend juste une allure un peu plus hautaine de princesse arabe, son port est un peu plus droit, ses cheveux courts brilent ses joues d un blond un peu plus vénitien. Jamais je n’ai connu quelqu’un qui avait une aussi faible conscience de sa beauté crue, une indifférence aussi cristalline à ce que son charme imprime malgré elle sur les gens. Seule la qualité de ce qu’elle dit et fait compte pour elle: le reste n’est qu’un effet collatéral de la nature, qu’elle cherche autant que possible à neutraliser par sa sobriété. m’a toujours beaucoup séduit.

Magie du quotidien

Même quand le moineau repartait, nous attendions encore, je la soulevais dans mes bras, je l’enveloppais d’un pull, nous attendions que la cloche se balance et sonne huit heures, ces huit coups que Tishka ne savait pas comp- ter encore, si bien qu’elle m’écoutait, épatéc, les égrener, en chantonnant la mélodie de ma voix… cinq, six, sept, huit! Alors on refermait vite la fenêtre pour filer dans la cuisine, Tishka devant, déjà éveillée et vive - « tu me cours?- faire chauffer le biberon, le poudrer de cacao, secouer, donner, blottir. La magie du quotidien.

La bague fluidifie

Évidemment. Je suis comme tout le monde en fait, ni plus ni moins C’est marrant, j’avais toujours refusé d’en avoir mais c’est fou ce que la bague te facilite la vie. J accède à tous les magasins maintenant, tous les services standard. Je prends le tram sans guetter les bocops. Les crochards m’évitent, je suis en opt-out de toute façon, par mon statut de prisonnière. Tout était laborieux avant, il fallait redécliner Son identité pour chaque service, chaque zone. Là c’est fluide, je me sens presque intégrée, reconnue par les systèmes. Finalement ça me soulage…

Pourquoi accepter

p277 – Ils acceptent parce que nous rêvons tous d’un monde bienveillant, nrif à nous. Un monde qui prenne soin de nos esprits et de nos corps stressés, qui nous protege et nous choie, nous aide et corrige nos erreurs, qui nous filtre l’environnement et ses dangers. Un monde qui s’efforce d’aménager un technococon pour notre bien-être. L’intelli- gence ambiante pourvoit à ça. Elle nous écoute et elle nous répond. Elle courbe cette bulle autour de nos solitudes. Elle la tapisse d’objets et d’interfaces cools. Bien sûr, elle en protite pour nous espionner jusqu’au slip et pour nous manipuler jusqu’à la moelle! Mais au moins, elle s’oc- cupe de nous, ce que plus personne ne fait vraiment.. C’est un cercle vicieux. Plus nos rapports au monde sont intertacés, plus nos corps sont des îlots dans un océan de données et plus nos esprits éprouvent, inconsciemment, cette coupure, qu ils tentent de compenser. Et ils la compensent en se reliant à des objets, en touchant et parlant à des dis- positifs qui nous rassurent - et nous distancent en même temps. Un reseau social est un tissu de solitudes reliées. Pas une communauté. Ce rauteuil que je caresse n’est pas un corps mais il me masse les reins. a me fait du bien donc ca me fait rêver d’un vrai corps que je n’aurai pas donc je reviendrai au fauteuil, encore et encore…

Laissons passer

p283 Je veux être au milieu d’une nature qui circule et qui flue, seigneur Varèse, qui passe son chemin et qui nous traverse. Les propriétés des nantis sont trop souvent pensées comme des enclaves, conçues en termes de frontière et de coupure, comme si le prestige d’un statut se décidait à l’épaisseur des protections. À titre personnel. Je crois que la noblesse se juge à leur finesse; la peur est toujours un signe de vulgarité. Je suis de passage, nous sommes tous de passage, alors Laissons les sangliers, les gens et le vent passer.

Gravé dans le marbre

temps s’apprivoise. lci le papier serait trop iragile, trahirait ce que je me suis toujours dit de nos littératures, à savoir que sil’on y croyait vraiment, sil’on pensait que nos phrases sont des choses vitales, on ne les imprimerait pas sur des feuilles qui se trouent à la moindre goutte d’cau et que la plus petite colere déchire: on ferait comme les disciples d’ Epicure, on les graverait en lettres de colosse sur la plus rêche des surfaces durables, à coups de burin sur le roc têtu d’une falaise, au moins d’un mur, pour signer dans la masse la motricité marcescible d’une syntaxe.

Être sonore

p332 L’enjeu reste simple au fond: il est que le son reste en vie. À chaque fraction de seconde. Un frisson qui ne fluctue pas continuellement est un son mort, il n’est plus musical. Un son fixe, régulier, identique comme l’est un bip ou un moteur, est un objet sonore tandis qu’un son musical est un être sonore. Un être qui naît et grandit, évolue puis meurt, avec élégance, furie, parfois d’une crise subite - pour mieux renaître ailleurs, plus tard. Un chef-d’œuvre musical comme l’est le frisson n’est pas une expo d’objets, Louise, un musée de tons ou de syllabes à reproduire. C’est un spectacle vivant acoustique où les sons sont des comédiennes qui incarnent, s’affrontent ou s’aiment réagissent l’une envers l’autre dans l’écart ou la fusion, seconde après seconde après seconde. Si vos furtives fuient, ce n’est pas qu’elles craignent d’être sloquées, c’est que vous leur proposez du son mort.

Enfant qu’on était

p380 – Audioquides touristiques – Errance assistée – Cette sorcellerie oubliée. Cette magie qui s’enfuit. Et que l’enfant qu’on a fait redonne à l’enfant qu’on était, sans le vouloir. Juste en étant ce qu’il est et que nous, les parents coagulés, on n’aurait jamais dû cesser d’être.

Habiter

p384 – et c’est là toute leur puissance: aimer se cacher, se nicher, faire terrier aménager loin des prédateurs et près des ressources, retrouver une liberté dont la structure même de la ville a fait son lit et son tombeau. Se rappeler qu’habiter est la première capacité des vivants.

Le vivant

p595 Le vivant dans sa totipotence, oui, dans toute sa fluidité, ses bruissements et son intensité, telle était Tishka. Le vivant dans sa résilience, dans son autopoïèse proprement miraculeuse, cette autocréation de soi qu’elle avait au plus haut point et qu’elle puisait dans l’environnement pour le métaboliser, s’en nourrir comme personne. Le vivant comme système ouvert plus que tout, en équilibre instable, qui conjure sans cesse l’entropie et s’offre sa propre liberté chaque jour. C’est tout ça que Tishka avait d’instinct été chercher chez les furtifs, du cœur de sa pulsion enfantine, c’était ça qui l’avait arrachée à nous, à son cocon, à notre contort de parents couvants. Quand je la regarde devant moi, figée, je ne me sens pas coupable de l’avoir regardée. je me sens furieuse de n’avoir pas su la maintenir libre. De ne pas lui avoir dit « nous sommes ton piège, chaton. Ton amour pour nous sera un jour ou l’autre ton piège. Pars, fuis quand tu sentiras la glu coller tes pieds, déploie toi». Et maintenant, elle est là: une statue. Et nous prions d’avoir assez de génie en nous pour la libérer de la mort.